LIBRAIRES, IL FAUT SAVOIR CE QUE VOUS VOULEZ !
Chers libraires indépendants,
Comme nous, vous êtes indignés par le fait que l'actuel gouvernement n'ait pas inscrit les librairies, diffuseuses et protectrices de la culture et du vivre ensemble, dans la liste des "commerces essentiels".
Rien d'étonnant de la part d'un gouvernement dont le credo néolibéral n'est nullement la culture partagée mais "l'économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée", en clair: les profits des mastodontes transnationaux comme Amazon et autres GAFAM. Ce qui est plus triste, c'est que nombre d'entre vous pratiquent, en guise de guichet informatique de substitution, le "click and collect". Et pourquoi pas je vous prie, le "clique et collecte" puisque les deux mots anglais que vous nous imposez sont eux-mêmes des emprunts à notre langue? Il est vrai que nombre d'entre vous déjà a été privé par la pandémie et les mesures sanitaires de l'horrible fête d'Halloween, importée des "States" et grâce à laquelle ces temples du goût et de la pensée que devrait être toute librairie bien conçue, ressemblent régulièrement, comme le premier commerce alimentaire venu, à un magasin de farces et attrapes agrémenté d'un étal de cucurbitacées...
Espérons au moins que vous ne faites pas le "forcing" pour ouvrir le jour du "Black Friday", ce jour noir parmi tant de jours gris sombres, pour la langue de Molière et de Victor Hugo...
Espérons surtout que les plus intelligents et critiques d'entre vous auront compris qu'il ne peut y avoir sans dommages culturels et commerciaux de contradiction durable entre le fond (j'allais dire, le "fonds") et la forme, le message porté par une langue - le français que vous parlez chaque jour avec vos clients et amis - et sa trahison permanente au profit du tout-anglais envahissant imposé par les collabos de la pub et du fric, pour reprendre une juste expression du philosophe Michel Serres.
Quand le grand patronat délocalise une usine et vend ses machines à l'encan, la classe ouvrière subitement dévaluée et humiliée entreprend généralement de faire grève, d'occuper les locaux et de DEFENDRE SON OUTIL DE TRAVAIL. On serait en droit d'attendre de tous les libraires de France que lorsqu'ils sont eux-mêmes frappés par des mesures qui les conduisent à la fermeture et au chômage, ils défendent, comme le premier prolétaire venu, son instrument de travail n°1: LA LANGUE FRANCAISE
Alors, pour une fois, faisons clairement entendre le E muet caractéristique de notre idiome et, au risque d'inverser les mécanismes de la DISPARITION programmée (titre également d'un fameux ouvrage de Pérec où l'on ne trouve nulle part la lette "e"), écrivons pour le moins : cliquE Et collectE*!
*dérisoire, dira-t-on dans certaines arrières-boutiques? Non, bataille politique et civique indispensable. Quand le Royaume-Uni et la République française décidèrent ensemble de construire l'avion supersonique du futur, les Anglais voulurent l'appeler "CONCORD". A l'issue d'un long et souterrain bras-de-fer, l'avion s'appela finalement CONCORDE. Il est vrai que le président de l'époque n'était pas le chef de file des "start-upers" et le signataire à toutes mains des traités néolibéraux "transatlantiques" qui ruinent à la fois nos industries et nos commerces de proximité. Son nom, vous l'avez deviné, était celui d'un homme d'Etat doublé d'un ECRIVAIN qui savait, quand il le fallait, faire retentir l'E muet final d'un mot, à commencer par celui de RESISTANCE.